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Entreprises et micro-entrepreneurs informels

Sommaire

 

Depuis une quinzaine d’années, de nouveaux modèles visant à articuler pérennité économique et impact social (social business, inclusive business, entrepreneuriat social) se sont multipliés, notamment dans les pays émergents. Ces stratégies, si diverses soient-elles, se professionnalisent, témoignant d’un renouvellement du rôle du secteur privé en matière de développement et reposent le plus souvent sur la capacité à réinventer les relations avec les travailleurs du secteur informel.

 

Le groupe Bel déploie par exemple en Afrique sa plateforme Sharing Cities, initialement lancée en Asie, qui consiste à s’appuyer sur des réseaux existants de vendeurs de rue pour développer sa stratégie de distribution au dernier kilomètre. Pour fédérer son réseau, l’entreprise s’associe avec de nombreux acteurs, publics, privés ou associatifs, pour proposer aux vendeurs des avantages sociaux – micro-assurance, formation professionnelle et soutien administratif pour les aider à formaliser leur activité. Cette initiative permet à la fois à l’entreprise d’optimiser son réseau de distribution tout en contribuant à l’amélioration des conditions de vie des vendeurs et à la formalisation progressive de leur activité.

 

Informel 2.0 : le potentiel de transformation des technologies digitales de paiement

 

Par ailleurs, la généralisation très rapide des systèmes de paiements digitaux (mPesa, Orange Money, etc.) permet d’interfacer bien plus facilement les entreprises formelles et les micro-entrepreneurs informels en permettant à la fois une plus grande souplesse financière (financement de besoin en fonds de roulement, micro-crédit, etc.) et un contrôle plus efficace des transactions. Parallèlement, des applications digitales se développent pour permettre aux entrepreneurs informels de mieux gérer leurs activités à partir d’un simple smartphone.

 

Vers une gouvernance renouvelée

 

Il est nécessaire de s’interroger sur les modalités les plus judicieuses de gouvernance autour du secteur informel pour prendre en compte les aspirations des différents acteurs. D’un côté, on voit la revendication récurrente de ces micro-entrepreneurs pour un meilleur accès aux opportunités économiques qu’offre la ville. La convention internationale des vendeurs de rue qui se réunit chaque année en Inde porte ainsi le nom de « Cities for all ». Cette demande très profonde d’égal accès aux opportunités économiques, qui s’inscrit pleinement dans la tradition du droit à l’initiative économique, doit être conciliée avec les enjeux légitimes des villes qui cherchent à libérer l’espace public. Dans certaines villes, des vendeurs ambulants et leurs représentants sont intégrés aux processus de décision visant à restreindre l’accès à l’espace public à l’activité marchande. C’est en multipliant les instances de gouvernance partagée que des solutions pérennes pourront être trouvées.

 

Innovation et smart cities

 

Les villes des pays émergents sont aujourd’hui le théâtre d’innovations urbaines spécifiques. La tradition de la « débrouillardise » symbolisée par la prégnance du secteur informel se voit aujourd’hui renouvelée par l’importance croissante des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC). Cette convergence entre la tradition (les solutions du secteur informel) et le digital a ainsi conduit à l’émergence d’une nouvelle forme d’innovations hybrides, où les TIC permettent aux habitants d’optimiser les pratiques informelles qu’ils ont contribué à façonner. À titre d’exemple, grâce à un système de crowdsourcing relativement simple (téléphone portable et GPS), il a été possible de réaliser la première carte des différentes lignes du réseau de « matatus » à Nairobi. Cette cartographie de la desserte a montré que ces mini-bus informels, derrière une apparente désorganisation, constituaient en fait un réseau très bien structuré, l’informel étant moins synonyme d’irrationalité que de rationalité invisible. À terme, ces outils pourront permettre de révolutionner la gestion des réseaux de distribution informelle.

 

Par ailleurs, et c’est là l’une de leurs particularités les plus intéressantes, certaines de ces innovations sont en avance par rapport aux pratiques des pays développés. En d’autres termes, une logique d’innovation de rupture est à l’œuvre, qui fonctionne selon un effet de « saute-mouton » : le digital permet en effet de « sauter » des étapes et de passer directement de solutions très informelles et peu organisées à des solutions ultra-modernes et optimisées. Cette logique de « reverse innovation » est aujourd’hui pleine de promesses.